Biographie

Je ne me souviens ni des premiers mots que j’ai dits, ni des premiers mots que j’ai entendus.

Enfant, je me parlais beaucoup à moi-même. C’était ma façon d’avoir mon mot à dire. De raconter la biographie de Philippe Sizaire avec mes propres mots.

Dès que j’ai su le faire, j’ai écrit. D’abord à la main, puis sur une vieille machine à écrire Remington qui avait appartenu à ma mère avant son mariage, du temps qu’elle était secrétaire trilingue anglais-français-allemand : le haut des caractères s’imprimait en noir, le bas en rouge. Les touches rondes cerclées de fer me blessaient le bout des doigts.

J’ai inventé une écriture en idéogrammes qu’il n’y avait que moi à savoir lire. Je l’enseignais le dimanche à ma grand-mère. Je laissais des messages codés dans les poches des manteaux des mannequins de plastique de Parly 2.

Le premier qui m’a parlé vraiment, je ne l’ai pas connu autrement que par la voix du disque, puis par l’image animée à la télévision. Il chantait sur mes premiers vingt-cinq centimètres d’enfant, que j’écoutais sur l’électrophone à valise, puis sur les trente-trois tours aux pochettes « Faux Bois ».

J’avais cinq ans, et Georges Brassens me racontait des histoires. Il me sortait de ma coquille et de ma chambre pour me guider vers l’ailleurs du petit théâtre humain que faisaient exister ses mots.

Son art allait infuser en moi.

Dès l’âge de huit ans, je commençai à écrire des chansons, et je n’ai jamais cessé depuis. Serge Reggiani et d’autres m’ont fait la joie de chanter mes textes.

Bien que n’ayant reçu aucun conte par transmission orale dans mon enfance, à quarante ans je suis devenu conteur.

Avec Brassens j’avais fait une découverte vertigineuse : par l’écriture et la parole, d’autres mondes peuvent être construits, et habités.

Au travers de cette biographie de Philippe Sizaire, tant de gens à remercier qui ont croisé son chemin :

François Rauber, qui composa les arrangements musicaux de Jacques Brel, et qui le premier accepta d’écouter mes chansons et de m’encourager. J’avais seize ans.

Paco Ibañez, rencontré entre deux rayons d’un disquaire, qui m’invita et m’accompagna à la guitare dans le grand auditorium de la Maison de la Radio, pour une émission de France Musique qui lui était consacrée. C’était ma première en public ! J’avais vingt-cinq ans, et un pull vert que je pensais très élégant mais qui en réalité était très moche..

Claude Lemesle, qui depuis 1989 a été pour moi un père d’écriture dans la chanson.

Élodie Retière, qui quand je me mis à conter me conseilla et me dirigea sans jamais m’enfermer, libérant mon corps de la gangue qui l’empêchait  de parler.

Atsushi Takenoushi qui me permit de trouver un chemin gestuel qui m’était propre, par la pratique de la danse butoh.

Les stagiaires qui, depuis vingt-cinq ans que je transmets, m’ont tant appris de mon art et de moi-même.

Les artistes qui m’ont tant nourri et inspiré par le livre, la musique, la chanson, le cinéma, le conte, la danse, le théâtre d’objet (et j’en passe, et j’en oublie).

Tant tant et tant de gens qui me firent cadeau de leur présence, leur amitié, de leur musique, de leurs mots.

J’ai beaucoup reçu et espère avoir donné assez « Pour que l’on puisse écrire à la fin de la fête / Quelque chose a changé pendant que nous passions. »

(Derniers mots de  : « Il faut vivre », écrit par Claude Lemesle, chanté par Serge Reggiani)